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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 21:29

Comme (l'explique)Sébastien Dupont, le moment le plus douloureux pour l’individu, c’est lorsqu’il se sent seul alors même qu’il est entouré ;  il a alors le sentiment d’être inadapté. Pour le jeune ce sentiment est d’autant plus déstabilisant.

A Emergence, structure d’accueil de jour de la maison d’enfants du Bocage, nous travaillons avec un public déscolarisé. Nous avons à accompagner, dans un cadre judiciaire ou administratif, des jeunes qui se trouvent dans une impasse : l’isolement.

Notre  effectif est de 12 jeunes âgés de 12 à 18 ans. L’accueil s’effectue du lundi au vendredi à l’exception du mercredi, qui est un jour réservé à l’analyse de la pratique. L’équipe est composée de 3 éducateurs spécialisés dont une en formation et d’une psychologue.

Notre activité consiste certes à faire une petite remise en français, en mathématiques mais l’essentiel de notre activité concerne des projets collectifs. Il y a également des animations artistiques, sportives et culturelles. La question de l’orientation est bien évidemment au cœur de notre préoccupation. La semaine est organisée le lundi pour permettre une projection et nous faisons un bilan le vendredi.

Je vous propose ce soir de voir comment nous soutenons le jeune et sa famille en difficultés dans cette période qu’est l’adolescence quand se greffent déscolarisation et solitude.

Après avoir brièvement évoqué les caractéristiques des jeunes que nous accueillons, je développerai l’expérience menée au désert où une randonnée de 7 jours s’est révélée être une marche vers soi.

 

 

 I.   LE SENTIMENT DE SOLITUDE VECU PAR DES JEUNES D’EMERGENCE

 

Les jeunes qui sont accueillis à Emergence n’ont plus de solution ; ils ont souvent changé d’école plusieurs fois et ont connu l’exclusion.

Ces exclusions scolaires sont en lien avec un absentéisme important, des comportements de violence, et des relations familiales difficiles. Pour accompagner ces jeunes dans leur parcours, nous associons les parents. Pour ce faire nous co-signons un programme de remobilisation scolaire et professionnelle précisant les objectifs visés, les actions qui seront menées auprès de leur enfant et les délais de leur mise en œuvre. Des bilans sont alors programmés pour évaluer ce projet.

En arrivant à Emergence, certains jeunes sont parfois dans des demandes urgentes ; ils veulent retrouver paradoxalement une école ou avoir un stage en entreprise tout de suite. Nous cherchons à les faire sortir de ce désir d’immédiateté car il est nécessaire de gérer ce temps de rupture et d’élaborer une solution adaptée à la particularité de leur situation. D’autres ne souhaitent entreprendre aucune démarche, ils ont perdu le goût d’apprendre et parfois même ils refusent toute aide. Pour chacun en effet un parcours se fabrique au fil du temps, en appui sur des partenaires comme les établissements scolaires avec qui nous signons des conventions, le centre d’aide à la décision de la chambre des métiers et les associations socioculturelles.

 

Mon premier exemple pour illustrer le public d’Emergence est celui de SAMANTHA, âgée de 16 ans qui a été placée en raison d’un conflit important avec son père : elle lui reprochait la mort de sa mère. Refusant le système scolaire, étant parfois dans des passages à l’acte violents, elle voulait accéder à un bac pro sans s’en donner les moyens. Elle a refusé tous les stages proposés ; ces peurs de l’échec et de l’effort l’ont conduite à s’isoler de la dynamique de groupe car elle était la seule à ne pas chercher son chemin. Il aura fallu l’expérience du désert dont je parlerai tout à l’heure pour se rendre compte que la réussite était possible.

 

Le second exemple est celui de JEREMY, 15 ans, qui a depuis le cm2 des difficultés d’adaptation à un établissement scolaire. A l’adolescence ce trouble s’est transformé en refus scolaire. A son arrivée à Emergence, il était très angoissé à l'idée de participer à des temps de travail collectif. Il a été présent deux jours et a rencontré une impossibilité de revenir tant il était angoissé. Compte tenu de sa problématique, nous avons proposé dans un premier temps un accompagnement éducatif à partir de son domicile pour l'aider petit à petit à reprendre confiance en lui. Soulagé, il a adhéré à ce nouveau cadre. Dernier de la fratrie, il était très lié à sa mère ; celle-ci étant souvent malade et enfermée chez elle, elle entretenait une relation protectrice à l'égard de son fils et ce dernier apparaissait dépendant de ce fonctionnement. Le père était souvent absent à cause de son travail et de son rôle secondaire dans l'organisation familiale. Les déplacements de Jérémy étaient limités à des situations familières (comme faire les courses ou aller chercher sa nièce à l'école). Il n'entretenait pas de relations avec des camarades de son âge. Cette configuration familiale ne l'aidait pas à s'ouvrir et Jérémy, loin d'un principe de réalité, s’est réfugié dans le jeu.

 

La majorité de ces jeunes a un rythme de vie décalé (ils dorment très tard, se lèvent tard, ne mangent pas à une heure habituelle et prennent leurs repas seuls, souvent dans leur chambre). Ils peuvent être dépendants de leurs écrans, de leur téléphone. D’ailleurs cela a donné lieu à réflexion lors de l’expérience dans le désert.

 

 

II.   LE DESERT, UNE MARCHE VERS SOI

 

Au Bocage, la question culturelle est au centre de l’acte éducatif.

Nous nous appuyons sur des séjours à l’étranger pour développer chez ces jeunes la capacité à vivre en groupe, l’acceptation d’un minimum de contraintes. Depuis 2002, nous avons orienté notre action vers le désert marocain et structuré un partenariat avec des associations locales et des établissements scolaires. Ce choix du Maroc est devenu une évidence en raison de notre immersion dans des villages éloignés où la culture traditionnelle est forte et le dépaysement certain. Nous n’avions pas vécu cela dans nos séjours au Canada ou en Irlande.

Notre objectif est de faire qu’émerge de cet engagement collectif un projet personnel pour chaque jeune. Le voyage est donc un support à notre action éducative. Nous visons, d’une part, une prise de conscience chez le jeune de sa valeur et de ses compétences et, d’autre part, qu’il renoue avec l’envie d’apprendre qui émane d’un sentiment de curiosité, sentiment qui contraste avec leurs habitudes solitaires.

J’ai choisi d’illustrer cette expérience par la situation de SAMIR, 12 ans, arrivé en novembre 2010, dans le cadre d’un partenariat avec son collège qui prévoyait 2 ½ journées en collège et le reste du temps à  Emergence, avec l’objectif de maintenir sa scolarité.

Ce jeune présentait des troubles du comportement et des difficultés relationnelles tant avec ses professeurs qu’avec ses camarades. Son collège souhaitait préparer son orientation vers un établissement spécialisé. De plus, son rapport à la solitude est intéressant à évoquer. Son intégration dans le groupe n’a pas été évidente ; c’était un jeune solitaire qui vivait dans l’imaginaire qu’il parvenait à construire à travers le dessin. Il a vécu cette expérience de manière très vive et s’est montré étonnement très ouvert aux villageois alors qu’il était souvent en difficulté relationnelle dans  le groupe.

 

Les modalités de la mise en œuvre de ce projet sont au nombre de 3 : il y a la préparation, la réalisation et le partage de l’expérience. Ce sont les ateliers d’écriture et de l’image qui constituent le fil rouge de cette aventure qui couvre l’année scolaire.

Concernant la préparation, nous amenons les jeunes à travailler ensemble, de l’idée à la réalisation. L’an passé ils ont intitulé le projet « solidaires sur une nouvelle Terre ». La préparation a consisté à se mettre en mouvement ensemble à travers des réflexions culturelles, des questionnements sur leurs représentations de l’inconnu et sur leur capacité à se séparer de leur milieu, de leur famille, de leurs amis.

Dans notre pratique éducative, nous nous appuyons sur le savoir-faire de chacun pour lui donner une place au sein du groupe et faciliter son intégration et sa reconnaissance par ses pairs. Ainsi dans le cadre d’une production d’un dessin animé, Samir a réalisé tous les dessins seul mais il a collaboré à l’écriture du scénario avec 2 de ses camarades.

Le thème du dessin animé étant la solidarité, ce travail a constitué un pont entre lui et les autres, entre ici et là-bas.

Le voyage a eu lieu du 26 mars au 24 avril. L’immersion dans la société marocaine a été progressive. Dès notre arrivée nous avons travaillé avec les associations, nous avons fait des chantiers éducatifs comme la réfection d’une classe dans une école rurale ou le nettoyage d’un système d’irrigation en plein désert. A ces occasions, Samir alternait entre engagement dans l’action avec les autres et isolement personnel.

Après une 20aine de jours de découverte à la fois du pays et du groupe en situation inédite, est venu le temps de la marche : une randonnée de 7 jours. Comme chacun sait, l’intérêt de la marche est double : on est seul dans l’effort physique mais on peut être dans l’échange dès lors que cette pratique est collective. Pour Samir, la marche a été un moyen d’évasion et de dépassement de soi ; il a éprouvé un sentiment de liberté symbolisé par sa marche pieds nus et sa capacité à s’éloigner du groupe pour prendre son propre chemin. Il n’a donc pas été souvent dans l’échange. Sa contribution au travail d’écriture du groupe a été la réalisation du dessin du jour ; en fait il parvenait à capter un moment qui avait marqué la journée, témoignant ainsi de sa capacité à bien observer ce qui l’entoure.

Au retour, Samir a réalisé des dessins pour l’exposition de fin d’année et pour la 1ère fois son travail était en couleurs. Si son orientation scolaire a pu se concrétiser vers un établissement spécialisé, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui il en est exclu : Samir a commis des actes de violence pour provoquer son exclusion.

Une question se pose alors : la solitude ne serait-elle pas pour ce type d’adolescents un rempart contre une société qui ne se montre pas à leur écoute ?

 

 CONCLUSION

 Pour conclure, je dirai que, quel que soit le motif d’accueil de ces jeunes, qu’il soit familial, social ou médical, le sentiment de solitude est présent puisqu’ils ont été exclus du système scolaire et ce sentiment doit donc être pris en charge.

Il s’agit pour nous de soutenir le jeune et sa famille en nous appuyant sur une dynamique de groupe, sur le savoir-faire et sur le savoir-être de chacun. Utiliser comme support éducatif ce séjour de remobilisation est une méthode qui permet à ces jeunes de couper avec leurs habitudes et de s’engager dans une démarche de changement.

 

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